A la découverte de nos ancêtres paysans

Au cours de vos recherches généalogiques, vous obtenez facilement des informations sur la profession exercée ou le statut social des personnes. De nombreux documents conservés aux Archives nous permettent de connaître l’activité de nos ancêtres tout au long de leur vie, qu’il s’agisse des registres paroissiaux ou d’état-civil, des actes notariés, des recensements, etc…. En…


Au cours de vos recherches généalogiques, vous obtenez facilement des informations sur la profession exercée ou le statut social des personnes. De nombreux documents conservés aux Archives nous permettent de connaître l’activité de nos ancêtres1 tout au long de leur vie, qu’il s’agisse des registres paroissiaux ou d’état-civil, des actes notariés, des recensements, etc….

En 1789, la population rurale représente 78% de la population totale, la population des agriculteurs représentant 87% de cette population rurale2.
Il est donc probable que vous trouviez des ancêtres paysans, si l’on exclut les métiers indirectement liés à l’agriculture ou issus de l’artisanat tels que maréchal-ferrant, charpentier, scieur de long, charbonnier, etc….

Vous rencontrez probablement dans les textes la profession de cultivateur, d’agriculteur ou de travailleur de la terre, expressions génériques pour désigner celui qui habite la campagne et cultive la terre.

Vous rencontrez également des termes spécifiques et variés, comme journalier, manouvrier, brassier, laboureur, fermier, métayer que j’aborde plus loin ou alors valet de ferme, bordager, bordier, closier, granger, haricotier, ménager, etc3.

Les termes utilisés pour désigner les paysans foisonnent. Certains sont propres à une région voire à un terroir, d’autres ont un sens différent suivant les régions. Dans tous les cas, ils nous donnent des indications utiles sur la place et le rôle d’un paysan dans une communauté villageoise qui n’a rien d’homogène.

Le Repas des Paysans – Musée de Louvre – les frères Le Nain (1588-1677)

Les laboureurs4 forment a priori une minorité que l’on peut assimiler à une élite paysanne

En raison de leur indépendance économique, ils sont en capacité de posséder ou de prendre à bail des terres de contenance suffisante, de disposer des moyens d’exploitation (charrue, charrettes, animaux de trait), d’employer une main-d’œuvre salariée.

Le Labour à Marfontaine (Aisne) – 1924

Une charrue permet d’exploiter une terre d’une contenance de 30 ha à 50 ha, selon que la terre est lourde ou légère. Les laboureurs aisés exploitent ainsi des terres d’au moins 30 ha jusqu’à 100 ha et plus. Pour une charrue, le laboureur possède généralement un attelage de 4 à 6 bœufs ou bien deux ou trois chevaux, voire quatre à six chevaux quand la terre est lourde5.

Les laboureurs ne sont pas nécessairement propriétaires de l’ensemble des terres qu’ils exploitent.

Sous l’Ancien Régime, la notion de propriété comme on l’entend aujourd’hui n’existe pas. Ils peuvent cependant détenir des terres sous forme de concessions perpétuelles et transmissibles à leurs héritiers, appelées tenures ou censives. Les détenteurs de tenures ou de censives, appelés les tenanciers ou les censiers, sont soumis aux droits de seigneurie notamment le versement d’une redevance fixe, le cens, ou variable, le champart, aux seigneurs.

Après la Révolution, on voit apparaître une nouvelle catégorie chez les paysans les plus riches : les propriétaires. Ces derniers ont pu généralement acquérir à la Révolution des terres confisquées à l’Église ou aux nobles émigrés.

Les laboureurs peuvent louer tout ou partie de leurs terres à un grand propriétaire foncier (seigneur, noble, bourgeois ou religieux). Ils sont alors fermiers et à ce titre locataires des terres suivant les conditions fixées par un contrat de bail à ferme – durée du fermage et montant du fermage, loyer fixe.

Métairie de Saint-Paul, Cahuzac-sur-Vère (Tarn), octobre 1896 – Trutat, Eugène (1840-1910), photographe

On ne trouve pas a priori de laboureurs très aisés parmi les métayers qui, en vertu d’un bail à mi-fruit signé chez le notaire, verse à leurs propriétaires la moitié de leur récolte. Le contrat de métayage prévoit que le propriétaire participe éventuellement aux frais de main d’œuvre et qu’il fournisse une partie du bétail et des semences, ce dont les laboureurs aisés n’ont pas besoin.

Le laboureur peut avoir un rôle de représentant du grand propriétaire foncier local. Sous l’Ancien Régime, il est parfois un agent seigneurial chargé de percevoir les redevances seigneuriales ou un collecteur de la dîme pour l’Église.

Sa famille n’offrant pas une main d’œuvre suffisante au regard des surfaces exploitées, le laboureur emploie une main d’œuvre locale non négligeable.

Au XVIIe et au XVIIIe siècle, le seuil de l’indépendance économique pour un paysan se situe entre 5 et 10 hectares, selon la nature des sols. A côté du laboureur aisé, des paysans moyens parviennent à conserver une certaine indépendance économique. Le paysan indépendant est celui qui peut vivre avec sa famille de ses terres en toutes circonstances, en faisant face à toutes ses dépenses et aux impôts et en conservant de temps à autres un surplus monétaire ou en nature6.
Ces paysans indépendants moyens sont les laboureurs dans le bassin parisien et dans le Centre, les ménagers dans le Midi et dans le Languedoc, les métayers dans l’Ouest et dans le Centre.
Ils possèdent un train de labour complet et exploitent 10 à 30 ha. La famille des paysans moyens fournit une main d’œuvre suffisante mais ils ont recours régulièrement à des journaliers. La famille des paysans moyens développe souvent une activité artisanale ou commerciale pour obtenir un revenu supplémentaire.

Déjeuner de paysans – Reproduction d’un tableau de Georges Maroniez (1865-1933)

Certains laboureurs vivent dans la précarité. Il s’agit des petits laboureurs qui exploitent entre 2 et 10 ha et qui ont généralement un train de labour incomplet, la charrue mais pas les bêtes. Ils dépendent des paysans aisés pour disposer de moyens de production suffisants. On trouve dans ce groupe de paysans modestes les ménagers dans le Nord, les closiers dans l’Ouest, les haricotiers dans le Beauvaisis ou les bordiers dans l’Ouest, le Centre et le Sud-Ouest.

BNF – Collection de Vinck. Un siècle d’histoire de France par l’estampe, 1770-1870. Vol. 17 – Né pour la peine : l’Homme de Village – Estampe publiée à Paris chez Basset [ca 1789]


Tous les jours au milieu d’un champ
Par la chaleur par la froidure
L’on voit le pauvre paysan
Travailler tant que l’année dure
Pour amasser par son labeur
De quoi payer le collecteur

Les manouvriers, brassiers, journaliers et domestiques forment le groupe des paysans dépendants

Ils sont les plus nombreux, de 35 à 50% des paysans, selon les terroirs. Ils ne possèdent pas de terres ou bien ils exploitent une petite exploitation de 2 ou 3 ha, voire moins, ce qui n’assure pas un revenu suffisant. Ils possèdent parfois quelques bêtes.

Le brassier dans le Sud et le manouvrier dans le Nord vendent leur force de travail à la journée aux paysans les plus riches dont ils sont entièrement dépendants pour vivre. Quand ils exploitent un lopin de terre, le brassier et le manouvrier doivent louer le matériel et l’attelage au laboureur.

Ils font partie des petits paysans pauvres soumis à une grande précarité et les premiers à souffrir les années difficiles (disette, chômage, etc…). Au cours de telles périodes, ils sont conduits à emprunter pour vivre auprès des paysans plus riches qu’ils remboursent en travaux.
Multi-tâches, ces paysans pauvres sont en quête de travail : fenaison, moisson, vendanges, terrassement et bûcheronnage… Ils sont rarement attachés à une exploitation dans la durée.
Pour compléter leurs revenus, ils font un peu d’artisanat comme le tissage à la maison ou se font maçons ou sabotiers.

La principale différence entre le journalier et le domestique est que le second réside dans la maison de son patron, qui le loge et le nourrit, alors que le premier réside dans sa propre maison.

A la campagne, ils réalisent les mêmes types de travaux. Cependant, le domestique est parfois spécialisé, tandis que le journalier exécute tout travail qu’exige l’exploitation.

Paysans des Deux-Sèvres (Niort)

Les domestiques sont gagés à l’année par les laboureurs les plus riches tandis que les brassiers, les manouvriers et les journaliers sont payés à la journée.

Les domestiques sont souvent des jeunes hommes et des jeunes filles non mariés placés très tôt par leurs parents pour éviter d’avoir à les nourrir. Ils sont parfois en couples, les deux travaillant sur la même exploitation.

Les archives départementales conservent quantité d’informations permettant de reconstituer au plus près les conditions de vie des familles de paysans

Vous pouvez apprécier le degré d’aisance financière des paysans, notamment la possession d’un capital d’exploitation, grâce aux archives fiscales, cadastrales ou notariales, par exemple les rôles fiscaux, les mutations immobilières (ventes, cessions) et les inventaires après décès.

Archives départementales du Gard

La surface des terres exploitées étant un déterminant essentiel des revenus, il faut s’assurer que le paysan possède bien un ou plusieurs train(s) de labour complet(s) et des terres d’au moins 30 ha pour le qualifier de paysan riche.

Il vous est possible d’apprendre comment il détient ses terres, par une concession, acquisition, fermage ou métayage. Les archives sur les opérations de vente des biens nationaux peuvent éclairer sur les circonstances de l’accès à la propriété après la Révolution. On cherche les contrats de fermage ou de métayage dans les minutes notariales.

La documentation cadastrale des XIXe et XXe siècles offre les descriptions et les plans des parcelles possédées. Des informations plus éparses sont susceptibles d’être retrouvées dans les compoix7 et les terriers8 de l’Ancien Régime.

Archives départementales du Gard

L’usage de termes honorifiques tels que « maître » ou « sieur » sont également un bon indicateur du niveau de respectabilité dont jouit la personne, de même que son éventuel rôle dans la communauté rurale ou son degré d’instruction ou d’alphabétisation.

Les recensements du XIXe et du XXe siècle vous permettent de suivre au fil des ans les domestiques chez leur(s) patron(s) et de retrouver les lieux où ils ont vécu et travaillé, seuls ou en couple.

Il faut également prendre le temps de plonger dans l’histoire locale, voire nationale, pour connaître le contexte conjoncturel. La compréhension des évènements qui marquent l’époque – épidémies, famines et disettes, guerres, etc… – et de leurs impacts sur la communauté villageoise donnera de la profondeur à vos travaux de recherches.

  1. Il faut tout de même rappeler que c’est un peu plus compliqué pour les femmes, dont l’activité est parfois occultée dans les documents officiels. ↩︎
  2. Source : L’évolution de la population agricole du XVIIIe siècle à nos jours, Jean Molinier, Économie et Statistique/Année 1977/91/pp. 79-84. Jusqu’au XXe siècle la France reste avant tout rurale ↩︎
  3. La liste n’est pas exhaustive :
    Valet de ferme = domestique
    Bordager : petit laboureur (10 à 15 ha maximum), souvent métayer et avec un train de labour incomplet, terme utilisé dans l’Ouest et le Sud-Ouest
    Bordier : variante de bordager
    Closier : variante de bordager, parfois uniquement vigneron
    Granger ou grangier : petit laboureur, terme utilisé dans le Dauphiné et en Bourgogne
    Haricotier : petit laboureur du Beauvaisis
    Ménager : petit laboureur ou laboureur moyen et indépendant dans le Nord, parfois laboureur le plus riche dans certaines régions du Sud (Albigeois, par exemple) ↩︎
  4. A ne pas confondre avec les laboureurs à bras dans le Centre et les laboureurs en Savoie qui sont des journaliers ↩︎
  5. Source : Simon Philibert de La Salle de l’Étang, Manuel d’agriculture pour le laboureur, pour le propriétaire, et pour le gouvernement […], éditeur Lottin l’aîné (Paris), 1764 ↩︎
  6. Source : Pierre Goubert, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730, Paris, Imprimerie nationale, 1960, 2 vol., 648 + 122 p. ↩︎
  7. Compoix : ancêtre du cadastre utilisé dans les régions de langue occitane jusqu’à la fin de l’Ancien Régime ↩︎
  8. Terrier : inventaire du foncier et des droits sur les terres concédées et louées d’une seigneurie sous l’Ancien Régime ↩︎

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Content is protected !!