Les noms de Marianne Canonge

Quand une recherche se transforme en casse-tête Marie Rose dite Rose Rouquette est née le 19 septembre 1787 à Sainte-Cécile-d’Andorge dans les Cévennes. La famille de sa mère est originaire du hameau de la Levade qui dépend de la paroisse de Sainte-Cécile-d’Andorge. La famille de son père est installée au hameau du Serre de la…


Quand une recherche se transforme en casse-tête

Marie Rose dite Rose Rouquette est née le 19 septembre 1787 à Sainte-Cécile-d’Andorge dans les Cévennes. La famille de sa mère est originaire du hameau de la Levade qui dépend de la paroisse de Sainte-Cécile-d’Andorge. La famille de son père est installée au hameau du Serre de la paroisse de Blannaves1 . Ces deux familles de modestes cultivateurs vivent de part et d’autre du Gardon au nord-ouest d’Alès, dans les Cévennes.
Son acte de baptême nous apprend que sa mère est Marianne Canonge2 et que son père est Pierre Rouquette3 . Selon l’acte de mariage de Rose le 24 septembre 1805, ses parents Pierre Rouquette et Marianne Canonge sont présents et consentants à son mariage.


Jusque-là, tout est normal, mais tout se complique quand on s’intéresse à la fratrie de Rose.


Sa sœur aînée Marie est née le 16 novembre 1785 à Blannaves. Dans l’acte de baptême de Marie, ses parents sont Pierre Rouquette et Marie Anne Privat. Dans son acte de mariage, ses parents sont Pierre Rouquette et Marianne Privat Canonge.


Trois frères naissent après Rose Rouquette, tous les trois baptisés sous le prénom de Jean Pierre.
Le premier Jean Pierre4 naît en 1790. Dans son acte de baptême, sa mère est Marianne Canonge.
Le second Jean Pierre5 naît en 1793 et décède un an plus tard. Dans son acte de naissance, sa mère est Marianne Privat, mais dans son acte de décès sa mère est Marianne Canonge.
Quant au troisième Jean Pierre6 , son acte de naissance en 1795 précise que sa mère est Marianne Privat.


Enfin, la dernière de la fratrie est Marie Magdelaine qui n’a pas été déclarée à sa naissance en 1804. Elle est finalement reconnue en 1823 comme la fille de Pierre Rouquette et de Marianne Canonge par un acte de notoriété fait par le juge de paix du canton de Génolhac et homologué par un jugement du tribunal civil d’Alès.


Vous comprendrez le désordre… Marianne Canonge et Marianne Privat sont pourtant bien la même personne, mais il faut encore le prouver et comprendre la raison de ces changements de nom « intempestifs ».

La recherche de l’acte du mariage de Marianne Canonge ou de Marianne Privat avec Pierre Rouquette conduit à un seul résultat possible : Marianne Canonge, fille de Privat Canonge et de Marie Baldit7 , épouse Jean Rouquette le 8 février 1785 à Sainte-Cécile-d’Andorge.

Sources : Archives départementales du Gard – extrait acte de mariage de Jean Rouquette et Marianne Canonge du 8 février 1785
Tout se complique à nouveau…

Le seul acte de baptême d’une Marianne Canonge née à Sainte-Cécile-d’Andorge à la Levade nous apprend que son père est Pierre Canonge et sa mère Marguerite Nicolas, son parrain et sa marraine étant Jean Baldi8 et Marguerite Nicolas9 .


Qui est la mère de Marianne Canonge : Marie Baldit ou Marguerite Nicolas ?

Source : Archives départementales du Gard – acte de baptême de Marianne Canonge du 3 décembre 1764

L’acte de mariage des parents de Marianne Canonge apporte un début de réponse : Pierre Privat Canonge, fils de Pierre Canonge et de Marguerite Nicolas, et Marie Gabrielle Baldy, fille de Jean Baldy et de Marie Fabrègue, se marient le 9 janvier 1764 à Laval-Pradel.


Marie Baldit est bien la mère de Marianne Canonge. Marguerite Nicolas est sa grand-mère paternelle. Le curé a simplement fait une erreur dans l’acte de baptême de Marianne Canonge.

Source : Archives départementales du Gard – extrait acte de mariage de Pierre Privat Canonge et de Marie Baldy du 9 janvier 1764
Marianne est une Canonge dotée d’un surnom ou nom usuel

Le nom Privat10 apparaît chez les Canonge de cette lignée avant la naissance du père de Marianne Canonge. Dans l’acte de baptême de ce dernier, le curé de la paroisse écrit qu’il a baptisé Pierre Privat, il raye Privat et écrit au-dessus Canonge.


On apprend dans cet acte que Pierre Privat Canonge est baptisé le 1er janvier 1743 à Sainte-Cécile-d’Andorge, qu’il est le fils légitime de Pierre Canonge et de Marguerite Nicolas, que son parrain est Pierre Canonge, son grand-oncle, et sa marraine Jeanne Chamboredon, épouse de Thomas, du lieu de la Trouche.

Source : Archives départementales du Gard – acte de baptême de Pierre Privat Canonge du 1er janvier 1743

Privat n’est pas un nom mais un surnom utilisé par tous comme le nom usuel de cette famille de Canonge. Il a peut-être permis de les distinguer des autres lignées de Canonge que l’on retrouve au sein de la communauté villageoise.


Selon le scripteur de l’acte dans lequel Pierre Privat Canonge est mentionné, c’est soit son nom usuel, donc son surnom Privat, soit son nom légal, Canonge, soit son surnom accolé à son nom légal qui est écrit.


Sans le savoir, Pierre Privat Canonge a transmis à ses enfants, Marianne, Marguerite, Jeanne et Jean Pierre, son surnom en tant que nom. Et pour cause, jusqu’au XIXe siècle, une grande partie de la population est illettrée et donc incapable de reconnaître son nom sur un document écrit.

En modifiant sans cesse le patronyme de Pierre Privat Canonge et celui de ses enfants, les différents rédacteurs des actes ont fini par transformer leur surnom en nom de famille. Jean Pierre déclaré à sa naissance sous le nom de Privat, fils de Pierre Privat Canonge, transmet ainsi à sa fille le nom patronymique de Privat Canonge.


Cet exemple montre combien l’usage des surnoms est toujours aussi fort en ce début de XIXe. Il est également une illustration d’une réalité qui peut surprendre : tous les noms de famille ne sont pas encore stabilisés à cette même époque.

Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que les noms de famille deviennent immuables

Pourtant, l’Etat n’a eu de cesse d’encadrer les pratiques de nomination depuis le XVe siècle, autant dire depuis que le système actuel de nomination à deux éléments (prénom + nom) est déployé auprès de toute la population.

Le passage à une nomination à deux éléments s’opère entre le Xe et le XIIe siècle pour les hommes, puis entre le XIIIe et le XIVe pour les femmes et remplace le système à un élément hérité des pratiques germaniques.

Quand ce système se met en place, le nom est le plus souvent un surnom lié à l’apparence physique, au caractère ou au métier ou un nom de lieu attaché à un ascendant ou le prénom d’un ascendant qui devient transmissible de génération en génération. Il est alors très facile de changer de nom.

C’est Louis XI qui va mettre en place le premier un contrôle de la nomination. En 1474, il interdit les changements de nom sans autorisation royale, mais en réalité les changements de nom continuent à se pratiquer.

En rendant obligatoire la tenue des registres paroissiaux d’abord pour les baptêmes par l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, puis pour les mariages et les sépultures par l’ordonnance de Blois en 1579, François Ier et Henri III concourent à figer les noms de famille, du moins phonétiquement.

A la Révolution, la Convention met les points sur les « i ». Le décret du 6 fructidor de l’an II (23 août 1794) en son article Ier stipule que « Aucun citoyen ne pourra porter de noms ni de prénoms autres que ceux qui sont exprimés dans son acte de naissance. Ceux qui les auront quittés seront tenus de les reprendre ».

Le changement de nom relève désormais du pouvoir judiciaire, mais les changements « hors la loi » continuent de se pratiquer, cependant dans une moindre mesure.

La grande majorité de la population ne maîtrisant pas l’orthographe de son propre nom, les changements d’orthographe restent extrêmement fréquents.
Les changements de nom sont souvent liés à l’usage de surnoms, comme nous l’avons vu dans l’exemple des Canonge.

Dans certaines régions du Sud-ouest où les terres ne sont pas morcelées au moment des successions mais transmises à un héritier unique, on se transmet toujours au XIXe siècle le nom d’ostal11. On observe alors un système de nomination parallèle au système légal. Si c’est une femme qui hérite des terres et que son mari n’est pas lui-même héritier, elle garde le nom d’ostal et peut le transmettre à ses enfants. Résultat, selon le rédacteur de l’acte, le nom d’ostal, qui est le nom usuel, apparaît ou pas dans les actes d’état-civil à la place du nom légal.

Ce n’est qu’à partir de la mise en place du livret de famille en 1877 que les noms et leur orthographe sont véritablement arrêtés.

La stabilisation du nom de famille est un processus qui a finalement duré plusieurs centaines d’années. Le système de nomination n’est pas figé pour autant.
Aujourd’hui, nous disposons de plus de souplesse dans l’utilisation des noms d’usage, dans les motifs de changements de nom ou dans le choix du nom issu de la filiation12.
Les généalogistes n’ont pas fini de tomber sur des casse-têtes…

  1. Blannaves fait partie aujourd’hui de la commune de Branoux-les-Taillades dans le Gard ↩︎
  2. Parfois prénommée Marie Anne ou simplement Marie ↩︎
  3. Parfois prénommé Jean Pierre voire Jean ↩︎
  4. Son prénom usuel est probablement Pierre comme son père ↩︎
  5. Son prénom usuel est probablement Jean pour le distinguer de son frère ↩︎
  6. Il est prénommé comme son frère décédé comme souvent l’enfant de remplacement à l’époque ↩︎
  7. Baldit, Baldi ou Baldy selon le rédacteur de l’acte ↩︎
  8. Aïeul, donc grand-père ↩︎
  9. Aïeule, donc grand-mère ↩︎
  10. A l’origine, c’est un prénom relativement fréquent dans la région et popularisé par Saint Privat, évêque de Mende martyrisé au IIIe siècle ↩︎
  11. Nom attaché à la maison et aux terres (ostal ou oustal en occitan) ↩︎
  12. Depuis la loi du 2 mars 2022, un simple démarche administrative suffit pour changer de nom de famille et opter pour le nom de son père, ou le nom de sa mère, ou leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi et dans la limite d’un nom pour chacun des parents ↩︎


Une réponse à “Les noms de Marianne Canonge”

  1. Avatar de JOYEUX Karine
    JOYEUX Karine

    Super ce premier article !

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