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L’incontournable contrat de mariage

De nos jours, quand un couple se marie sans contrat de mariage, leur régime matrimonial est automatiquement le régime de la communauté réduite aux acquêts. La très grande majorité des couples optent pour ce régime qui ne nécessite pas de contrat de mariage. Seul un couple sur dix signe aujourd’hui un contrat de mariage. Pour…


De nos jours, quand un couple se marie sans contrat de mariage, leur régime matrimonial est automatiquement le régime de la communauté réduite aux acquêts.

  • Chacun conserve ses biens propres : biens acquis avant le mariage, legs reçus ou héritage, certains biens professionnels.
  • Les autres biens acquis seul ou à deux pendant le mariage, les acquêts, sont communs.

La très grande majorité des couples optent pour ce régime qui ne nécessite pas de contrat de mariage.

Seul un couple sur dix signe aujourd’hui un contrat de mariage. Pour ces couples, le régime légal n’apporte pas les réponses adaptées aux conséquences financières et patrimoniales de leur mariage ou aux enjeux de protection et de transmission du patrimoine, notamment en cas de conflits. Le contrat de mariage leur permet d’opter pour plus de communauté ou plus de séparation des biens. Quatre régimes sont alors possibles :

  • Une personnalisation du régime de la communauté réduite aux acquêts,
  • Le régime de la communauté universelle (aucune distinction entre biens propres et biens communs) ;
  • Le régime de la séparation de biens (aucun bien commun ou alors en indivision) ;
  • Le régime de la participation aux acquêts (régime de la séparation des biens pendant le mariage et régime de la communauté réduite aux acquêts en cas de divorce).

Dans la France de l’Ancien Régime, si le formalisme du mariage religieux est partout uniformisé selon les préceptes de l’Église, les aspects financiers et patrimoniaux du mariage sont organisés le plus souvent par les dispositions du contrat de mariage, encadrées par le droit en vigueur dans la région où l’on se trouve.

Même s’il y a très peu de biens en jeu, le recours au contrat de mariage est très répandu, notamment dans les pays de droit écrit, dans la moitié sud du royaume. Il en est de même pour le recours au testament. Dans un monde où l’on sait la précarité de la vie, il est naturel de prendre les dispositions nécessaires pour assurer la continuité du patrimoine familial et les conditions de subsistance des membres attachés au clan familial.

Le contrat de mariage des enfants en écho à leur propre testament est l’occasion pour les parents de préparer le passage de relais à la génération suivante. C’est aussi un pacte entre deux familles décidées à préserver au mieux leurs intérêts patrimoniaux et tenues d’aménager les effets du départ ou de l’arrivée d’un membre dans le groupe familial.

Ainsi, les dispositions du contrat de mariage précisent, au cas par cas, l’ensemble des mesures envisagées, dont en principe :

  • le montant, la nature et l’origine des apports de chaque époux ;
  • la part des biens propres, la part des acquêts ;
  • les droits du conjoint survivant au décès de l’autre conjoint, notamment le montant du douaire de la veuve pour assurer sa protection face aux héritiers, dans le cas où il serait différent du montant prévu par la coutume en vigueur ;
  • les mesures de garantie des droits des enfants d’un premier lit en cas remariage.

Étudions un contrat de mariage du XVIIIe siècle, signé dans les Cévennes.

Nous sommes le 20 janvier 1735, au cœur de l’hiver, sous le règne de Louis XV.

La scène se passe à Sainte-Cécile-d’Andorge, chez le notaire royal, Henry Alexis Chabrol, officiant à la demande de la famille de la future mariée. Le notaire de la famille du futur marié, Jacques Soustelle, participe à la rédaction du contrat de mariage.

Plus de quinze personnes sont présentes pour la signature de ce contrat de mariage entre les deux jeunes gens. L’enjeu est de taille pour les deux familles.

Les Cévennes situées dans la province royale de Languedoc sont un pays de droit écrit. Dans ce pays, on n’attend pas le décès des parents pour décider de la répartition des biens, on le décide au mariage des enfants.


Contrat de mariage de Jean Dardalhon et de Marie Chapon

Source : AD Gard – Minutier des notaires de Sainte-Cécile-d’Andorge – Notaire Alexis Chabrol 1718-1762 – 1733-1735 – 2E 23/662

Grâce à ce contrat de mariage et la description des apports des futurs mariés, nous comprenons que les deux familles font partie des paysans aisés. Les Dardalhon font même partie de l’élite villageoise. Ils comptent parmi leurs membres un agent seigneurial, un bailli, chargé du contrôle des actes notariés. Ils sont lettrés tandis que seule la mère sait signer parmi les Chapon.

Le contrat de mariage montre comment les parents des futurs mariés s’accordent pour trouver une solution à leurs préoccupations respectives.

  • D’un côté, père de cinq filles susceptibles une fois mariées de rejoindre une autre famille, Étienne Chapon a besoin d’intégrer dans sa famille le fils qu’il n’a pas eu pour assurer sa descendance et l’intégrité de son patrimoine foncier. Pour cela, il est prêt à s’attacher l’une de ses filles en la désignant héritière universelle, quitte à léser ses autres filles. Ce sera l’aînée parce qu’elle est la première à se marier.
  • De l’autre côté, dépossédé d’une partie de ses biens qu’il a donnée à son héritier universel, son fils aîné, Jean Antoine Dardalhon cherche une solution pour installer son fils cadet ailleurs. Il dispose de certains avantages dans la négociation. Bien qu’il ait décidé de transmettre à son fils cadet le minimum autorisé (le droit légitime ou la dot), cet apport est en cohérence avec la donation envisagée par Étienne Chapon à sa fille. Sa famille jouit en outre d’un réel prestige au sein de la communauté rurale.

Les minutiers des notaires conservés par les Archives départementales regorgent de contrats de mariage, riches d’informations sur les histoires familiales. Les contrats de mariage permettent également de retrouver des informations disparues ou absentes, quand les registres paroissiaux ont détruits ou sont lacunaires.

Les informations glanées dans ces actes apportent à coup sûr beaucoup d’éléments de compréhension.
Nous pouvons ainsi apprécier finement la position sociale de la famille dans son environnement, ainsi que l’organisation de la vie de la famille, le rôle spécifique de certains de ses membres, les modalités de partage et de transmission du patrimoine, les conditions de l’alliance avec une autre famille. Au final, une mine d’informations pour retracer au plus juste la vie de nos ancêtres 😉


Notes :

  1. Le mariage est contrôlé par les parents et par l’Église. Depuis l’ordonnance de Blois de 1579, le consentement des parents, en réalité du père, est obligatoire jusqu’à l’âge de 25 ans pour les femmes et 30 ans pour les hommes, quand bien même ces derniers ont atteint la majorité civile (en général 25 ans, selon le droit coutumier en vigueur).
    Le mariage est nécessairement précédé de la publication de bans, en principe trois bans sauf dispense, dans chacune des paroisses des futurs mariés, afin que les éventuels empêchements au mariage soient signalés à temps (bigamie, vœu de chasteté, âge inférieur à 12 ans pour une fille et 14 ans pour un garçon, consanguinité, parenté spirituelle, mixité religieuse, inaptitude à concevoir,…). ↩︎
  2. Dans cette région du Languedoc, comme dans une large partie du sud de la France, pour éviter le morcellement des propriétés, c’est le « système à maison » qui s’applique le plus souvent en matière de succession, alors que le droit en vigueur prévoit en l’absence de testament un partage égal entre les enfants, les filles mariées et dotées étant exclues de la succession. Le père désigne dans son testament un de ses enfants comme héritier universel, ses autres enfants ne recevant qu’une portion réduite de ses biens (la portion héréditaire, la légitime, le droit légitime, la dot). ↩︎
  3. Le cartal est une ancienne mesure qui avait cours dans le Gévaudan (1 cartal = environ 30 l) ↩︎
  4. La châtaigne est l’élément central de l’alimentation des cévenols du XVIIIe siècle. ↩︎
  5. Estimations d’après Georges d’Avenel, Histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix en général, depuis l’an 1200 jusqu’en l’an 1800. Paris, Imprimerie nationale, 1894. ↩︎

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