Si, dans vos recherches généalogiques, vous vous intéressez à l’évolution du patrimoine foncier d’un ancêtre ou de celui d’une famille, si vous souhaitez reconstituer l’histoire d’une maison ou d’un terrain, les archives de la Conservation des hypothèques versées aux Archives départementales permettent de rassembler beaucoup d’informations pour retracer cette histoire.
Les hypothèques ?
Instaurée pendant la Révolution, la Conservation des hypothèques est un service administratif et fiscal dont la mission est double :
- Transcription des actes notariés relatifs aux mutations immobilières (ventes, donations, legs, etc.…) et perception des taxes sur les transactions immobilières ;
- Inscription des créances hypothécaires qui grèvent les biens immobiliers (archives pas toujours conservées).
Les services de la Conservation des hypothèques étaient organisés en bureaux, localisés au chef-lieu de chaque arrondissement de chaque département.
Les fonds des hypothèques conservés par les Archives Départementales couvrent en principe la période 1800-1955. Les fonds des archives à partir de 1956 sont du ressort des services de la publicité foncière du département qui ont remplacé la Conservation des hypothèques en 2013.
L’originalité des fonds des hypothèques est son mode de classement astucieux.
Le classement imaginé par l’administration permet de retrouver rapidement la copie intégrale (la transcription) de tous les actes de mutation de propriété réalisés par une personne au cours de sa vie sur le territoire d’un bureau des hypothèques. Il s’agit le plus souvent d’actes notariés, mais il est possible de trouver la transcription de jugements ordonnant et organisant une vente forcée.
Il faut donc procéder pas à pas.

Les recherches dans les fonds des hypothèques sont un excellent moyen de :
- Repérer d’éventuels cousins résidant dans la même commune ou aux alentours
- Retracer l’historique des opérations de mutation de propriété réalisées par une personne ou les membres d’une famille
- Apprécier l’aisance financière d’un ancêtre
- Retrouver l’histoire d’une maison et de ses propriétaires successifs
- Rassembler des informations pour compléter les recherches dans le cadastre
- Connaître le nom du ou des notaire(s) et poursuivre les recherches dans les fonds notariaux
- Faire la passerelle avec les fonds de l’enregistrement pour compléter les recherches et les élargir à d’autres actes (conseil de famille, testament, contrat de mariage, etc…)
Exemple d’une recherche dans les archives du bureau des hypothèques de Basse-Terre en Guadeloupe
Prenons l’exemple d’Antège Egbert dit Stéphane RÉNIA.
Stéphane RÉNIA est un commerçant de Basse-Terre, né à Vieux-Fort le 14 novembre 1900. Il a épousé, le 19 mars 1927 à Basse-Terre, Ernestine Laurienne Élise MARIETTE, née le 26 août 1903 à Vieux-Fort.

Dans la table alphabétique de la Conservation des hypothèques de Basse-Terre1, nous trouvons toutes les personnes portant le patronyme RÉNIA qui ont pris part à une mutation de propriété avant 1955 sur l’arrondissement de Basse-Terre.
Cette table nous apprend que Stéphane RÉNIA est domicilié à Basse-Terre et que sa case hypothécaire est dans le volume n°56 du répertoire des formalités, au n°366.


Dans le répertoire des formalités hypothécaires2, la case réservée à Stéphane RENIA affiche la liste complète des opérations immobilières qu’il a réalisées avant 1955, au total neuf acquisitions et trois cessions entre 1929 et 1947, dont une acquisition dans le cadre d’une vente aux enchères en 1936.

Intéressons-nous aux opérations menées à partir de 1940.
Il est indiqué dans sa case hypothécaire que Stéphane RÉNIA achète un bien immobilier à la veuve GUILHEMBORDE en juillet 1940 et que la transcription de l’acte, datée du 30 juillet 1940, se trouve dans le volume n° 556 du registre des formalités, au n° 27.
Dans le 556e volume du registre des formalités3, nous trouvons à l’article n°27 la copie intégrale de l’acte.
Stéphane RÉNIA achète à Louise Marie Julie DÉJEAN, veuve GUILHEMBORDE, commerçante de Basse-Terre, l’habitation « Sainte-Sophie » et son annexe « Petit Enclos », situés à Baillif, pour la somme de 140 000 francs. L’habitation mesure 32 hectares et son annexe est d’une surface indéterminée.

Ancienne habitation caféière située sur la section Saint-Robert au Baillif, l’habitation « Sainte-Sophie » était la réunion de deux habitations :
- L’habitation « Malgré Tout » qui dépendait autrefois de l’habitation « Blanchet » et qui avait été vendue à Jean Alexandre LEDENTU en 1817 ;
- L’habitation « Saint-Robert » qui appartenait aux parents de l’épouse de Jean Alexandre LEDENTU, Jeanne Marguerite Sophie PIFFARD.
L’habitation « Sainte-Sophie » est restée dans la famille LEDENTU et ses alliés PAYEN et EGGIMANN jusqu’à la fin du XIXe siècle. La maison et la chapelle ont aujourd’hui disparu, mais il reste des traces du vieux cimetière, la citerne, un vieux four à pain et de vieux manguiers4.
La situation de l’habitation « Sainte-Sophie » est décrite de la manière suivante :
- Au Nord, les terres des héritiers Pèlerin et la ravine « Bonne Chère »,
- A l’Est, la propriété de madame LAURIOL,
- Au Sud, la petite rivière qui sépare l’habitation « Sainte-Sophie » de l’habitation « Claire Fontaine »5,
- A l’Ouest, les biens de Monsieur DAGOUMEL et ceux des héritiers PÉLERIN.
Cette vente porte sur les constructions, les plantations, les animaux et le matériel agricole se trouvant sur la propriété.
Les parents de la famille LEDENTU dont le cimetière familial se trouve sur la propriété conservent le droit d’y accéder.
Stéphane RÉNIA, toujours commerçant à Basse-Terre, n’a pas tout à fait 40 ans en ce mois de juillet 1940.
Stéphane RÉNIA s’est déjà suffisamment enrichi pour faire l’acquisition de cette propriété tandis que sa famille et lui continuent de résider à Basse-Terre.
La période est tourmentée. Le maréchal PÉTAIN a signé l’armistice avec l’Allemagne nazie le 22 juin 1940, posant les règles de l’Occupation. Il est investi des pleins pouvoirs depuis le 10 juillet 1940 et à partir de là, met en place un régime autoritaire, le régime de Vichy, sous lequel est placée la Guadeloupe. C’est le début de la dissidence pour tous les guadeloupéens qui refusent de faire allégeance au régime de Vichy.
Selon les informations de sa case hypothécaire, Stéphane RÉNIA vend un bien trois ans plus tard à madame BAILLY. La transcription de l’acte, datée du 9 novembre 1943, se trouve dans le volume n° 583 du registre des formalités, au n° 466.

Selon la copie de l’acte, Stéphane RÉNIA et son épouse revendent l’habitation Sainte-Sophie, le 30 octobre 1943, pour un montant 200 000 francs à Marthe Marie BOUTREAU-ROUSSEL, épouse de Georges Marie Jean BAILLY, agriculteur, demeurant aux Trois-Rivières.
La vente porte sur le terrain de 32 ha, une maison principale en mauvais état, deux petites maisons et un hangar à bananes, ainsi que deux platines à manioc, un moulin à manioc et un moulin à café. Le tout est vendu avec deux vaches, une génisse et trois ânes.
À première vue, Stéphane RÉNIA semble réaliser une plus-value substantielle en vendant pour 200 000 francs une propriété qu’il a achetée 140 000 francs trois ans plus tôt.
Il a certes tiré des revenus de l’habitation Sainte-Sophie, mais la plus-value est négligeable si l’on tient compte de l’inflation galopante (plus de 15% par an), provoquée par les difficultés d’approvisionnements en ces temps de guerre.
Le blocus de la Guadeloupe par les alliés est total au premier semestre 1943. La Guadeloupe est en situation de quasi disette tant les produits importés font défaut. L’appel des autorités vichystes aux agriculteurs et aux industriels guadeloupéens et les mesures comme l’interdiction l’abattage des arbres fruitiers n’apportent aucun remède aux difficultés du moment.
Dans le même temps, le régime de Vichy met tout en œuvre pour oppresser la population, malgré l’absence des Allemands sur le territoire, comme l’illustrent certaines mesures, par exemple : l’interdiction des réunions populaires, des carnavals et des bals populaires, l’interdiction dans les lieux publics de l’audition de tous les postes étrangers et de l’usage des haut-parleurs, l’interdiction que des appareils TSF soient audibles de l’extérieur des immeubles où ils fonctionnent…
Cette situation en 1943 a sans doute intensifié le phénomène de résistance qui a démarré dès 1940 jusqu’aux actes de rébellion qui conduisent au ralliement officiel à la France libre le 14 juillet 1943.
Selon les informations de sa case hypothécaire, Stéphane RÉNIA fait l’acquisition d’un bien à la même période auprès de madame DIMBAS. La transcription de l’acte, datée du 9 novembre 1943, se trouve dans le volume n° 583 du registre des formalités, au n° 487.

La transcription de l’acte nous apprend que Stéphane RÉNIA achète le 20 octobre 1943 un terrain situé sur la Grand’ Rue du Fort Richepance à Simone Frumencine Marinette DIMBAS, épouse divorcée d’Alexandre Gervais FORTUNO, clerc de notaire, demeurant à Basse-Terre, pour la somme de 5 000 francs.

La Grand-rue du Fort Richepance reliait le Cours Nolivos et le fort Delgrès en suivant le tracé des actuelles rue de la République, rue Amédée Fengarol, rue Joseph Ignace et rue Charles Houël.
En l’absence de plans cadastraux, ce terrain est difficile à situer exactement. L’acte de vente précise seulement qu’il est côté mer de la rue, le long d’une ruelle menant à la mer, entre un immeuble ayant servi de dépôt de chaux de génie et un terrain appartenant à M. Joseph PUECH.
Selon les informations de sa case hypothécaire, Stéphane RÉNIA achète un bien quelques mois plus tard à la veuve BLANDIN. La transcription de l’acte, datée du 16 février 1944, se trouve dans le volume n° 585 du registre des formalités, au n° 258.
Selon la transcription de l’acte, Stéphane RÉNIA fait l’acquisition d’un immeuble, situé à Basse-Terre au 12 rue Baudot (au moment de l’acquisition), le 1er février 1944, pour un montant de 500 000 francs. La vendeuse est Lucie Marie Marthe Louise BLANDIN, une veuve demeurant à Saint-Claude.

L’immeuble du 12 rue Baudot se situe entre la rue Schoelcher, ancienne rue de la Savane, des propriétés donnant sur la rue Schoelcher et des immeubles plus au sud sur la rue Baudot. L’immeuble comprend :
- une maison principale à étage, comprise entre deux pignons en mur, construite en bois, couverte en tôle, sur la rue Baudot,
- un garage adossé à la maison,
- un local à usage commercial à simple rez-de-chaussée situé à l’angle des rues Baudot et Schoelcher,
- un immeuble à simple rez-de-chaussée donnant sur la rue Peynier, comprenant trois pièces dont une grande et deux petites, l’une de ces dernières servant de garage.
C’est une belle adresse, à deux pas du cours Nolivos, lieu de promenade et cœur du quartier commerçant de Basse-Terre.
Selon sa case hypothécaire, Stéphane RÉNIA procède ensuite à deux cessions dont les actes sont respectivement transcrits le 2 décembre 1946 dans le volume 608 du registre des formalités à l’article n°369 et le 14 janvier 1947 dans le volume 609 du registre des formalités à l’article n°5410.
Ces deux actes nous apprennent que peu après, Stéphane RÉNIA revend une grande partie de l’immeuble du 12 rue Baudot.
Il vend le 16 novembre 1946 le local commercial au coin de la rue Schoelcher et le garage de la rue Baudot à Simonne Julia ÉTIENNE, commerçante de Basse-Terre, pour un montant de 350 000 francs.
Il vend ensuite, le 31 décembre 1946, la maison principale au 12 rue Baudot à Louis Gaston Marie Joseph LUBIN, commerçant de Basse-Terre, pour un montant de 800 000 francs.
Pour cette dernière vente, Stéphane RÉNIA reçoit de la part de Louis Gaston Marie Joseph LUBIN un versement comptant de 300 000 francs en billets de la banque de Guadeloupe et accorde à ce dernier un crédit de 500 000 francs remboursable dans un délai de 2 ans à compter du 1er janvier 1947 et au taux d’intérêt de 8% l’an.
L’immeuble qu’il avait acheté en février 1944 à la veuve BLANDIN lui avait coûté 500 000 francs. En janvier 1947, le produit de la vente des deux lots représente une somme de 1 million 150 000 francs.
Stéphane RÉNIA réalise au tout début de l’année 1947 une plus-value conséquente sur la vente de ces deux lots, d’autant plus qu’il n’a pas encore vendu la maison à simple rez-de-chaussée qui donne sur la rue Peynier.
La dernière opération immobilière de Stéphane RÉNIA (avant 1956), inscrite dans sa case hypothécaire, concerne l’acquisition d’un bien auprès de la veuve NOËL. La transcription de l’acte, datée du 23 octobre 1947, se trouve dans le volume n° 616 du registre des formalités, au n° 3311.
Le 14 octobre 1947, Stéphane RÉNIA achète un immeuble sur la rue de la République, également dans le centre de Basse-Terre, pour un montant de 1 million 5 000 francs, à Louise Marie Elisabeth PIERRE, veuve JEAN-FRANÇOIS en 1ères noces et veuve NOËL en 2èmes noces.

On aperçoit à l’extrême gauche une partie de l’immeuble acheté par Stéphane RÉNIA fin 1947
L’immeuble est situé entre la rue de la République et la rue de l’ancien marché (ou rue de Saumur) :
- Au nord se trouve un immeuble ayant appartenu à madame Silvestre BILLY, aux héritiers de messieurs FRANÇOIS et Joseph Thomas VITALIS (propriété actuelle de M. Eugène HUC)
- au sud un immeuble appartenant actuellement à madame Richard NANTE (ancienne propriété des héritiers de madame veuve NADAU).
Cet emplacement correspond au 20 rue de la République actuel, à côté du marché de Basse-Terre.
L’immeuble se compose de :
- un terrain de 5,85 mètres de façade sur la rue de la République qui s’étend jusqu’à la rue de Saumur, autrefois rue de l’ancien marché,
- une maison à étage avec galetas logeable12, édifiée sur ce terrain et construite en pierres et en bois, couverte en tôle, percée de trois ouvertures au rez-de-chaussée et de deux ouvertures à l’étage,
- des dépendances complétant la construction.
C’est dans cet immeuble que Stéphane RÉNIA emménage avec sa famille en 1947. Le rez-de-chaussée de l’immeuble lui offre un emplacement idéal pour ses activités commerciales (produits d’alimentation), à proximité du marché de Basse-Terre où il approvisionne les marchandes. Au cours de la période observée, on peut dire qu’il a conclu beaucoup d’affaires avec des veuves ! Il a conservé cet immeuble toute sa vie et l’a transmis à des descendants.
Image de l’en-tête : Route de Fort Richepance à Basse-Terre – Roger BIAYS – 1946 – ANOM
Notes :
- Archives départementales Guadeloupe – Conservation des hypothèques de la Guadeloupe (1811-1955) – Bureau de Basse-Terre – Registres d’ordre – Tables alphabétiques – Volume « de PINE à RENC » – Cote 4 Q 1972. ↩︎
- Archives départementales Guadeloupe – Conservation des hypothèques de la Guadeloupe (1811-1955) – Bureau de Basse-Terre – Registres d’ordre – Répertoires des formalités hypothécaires – Volume 56 – Case 366 – Cote 4 Q 2034. ↩︎
- Archives départementales Guadeloupe – Conservation des hypothèques de la Guadeloupe (1811-1955) – Bureau de Basse-Terre – Registres des formalités – Registres des transcriptions – Actes de mutation – Volume 556 – 16 avril-28 août 1940 – Article n° 27 – Cote 1458 W 331. ↩︎
- Source : Généalogie et Histoire de la Caraïbe – bulletin numéro 107 de septembre 1998 page 2302 et bulletin numéro 115 de mai 1999 page 2522 ↩︎
- Habitation où est né le Chevalier Saint-George. ↩︎
- Archives départementales Guadeloupe – Conservation des hypothèques de la Guadeloupe (1811-1955) – Bureau de Basse-Terre – Registres des formalités – Registres des transcriptions – Actes de mutation – Volume 583 – Article n°46 – Cote 1458 W 337. ↩︎
- Archives départementales Guadeloupe – Conservation des hypothèques de la Guadeloupe (1811-1955) – Bureau de Basse-Terre – Registres des formalités – Registres des transcriptions – Actes de mutation – Volume 583 – Article n°48 – Cote 1458 W 337. ↩︎
- Archives départementales Guadeloupe – Conservation des hypothèques de la Guadeloupe (1811-1955) – Bureau de Basse-Terre – Registres des formalités – Registres des transcriptions – Actes de mutation – Volume 585 – Article n°25 – Cote 1458 W 337. ↩︎
- Archives départementales Guadeloupe – Conservation des hypothèques de la Guadeloupe (1811-1955) – Bureau de Basse-Terre – Registres des formalités – Registres des transcriptions – Actes de mutation – Volume 608 – Article n°36 – Cote 1458 W 341. ↩︎
- Archives départementales Guadeloupe – Conservation des hypothèques de la Guadeloupe (1811-1955) – Bureau de Basse-Terre – Registres des formalités – Registres des transcriptions – Actes de mutation – Volume 609 – Article n°54 – Cote 1458 W 341. ↩︎
- Archives départementales Guadeloupe – Conservation des hypothèques de la Guadeloupe (1811-1955) – Bureau de Basse-Terre – Registres des formalités – Registres des transcriptions – Actes de mutation – Volume 616 – Article n°33 – Cote 1458 W 345. ↩︎
- combles logeables. ↩︎
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